Cahier de chansons appartenant à Chênel René
412e Régt d’Infanterie
3e Compagnie
Prisonnier de guerre à Mamouret-Ul-Aziz
Asie Mineure
1920-1921


Mémoire de captivité et de mon temps en Turquie.


C’est avec un grand découragement que le 19 mars 1919, que mes chefs m’ont appris que je devais partir pour rejoindre le 412ème d’infanterie qui se trouvait à LAON, et qui se formait pour faire un régiment d’occupation sur la terre de Syrie et de l’Asie Mineure. Le 19, je quittais donc le 412ème qui était en ALSACE, chose qui m’a bien peiné de quitter ce charmant pays, pour partir sur une terre encore inconnue pour moi, et pour bien d’autres innocents qui n’avaient pas le cœur très net sur la vie qui nous était réservée. Il fallait donc prendre avec courage le chemin.

Le 23 mars 1919, j’arrivais dans la ville de LAON, où j’ai passé trois ou quatre jours en attendant de savoir à quelle compagnie que le destin allait me conduire. Je fus donc désigné pour aller rejoindre la 1ère compagnie de mitrailleuse qui se trouvait à HAULNOI, à quelques kilomètres de LAON. Ici nous avons été quelques jours où l’on ne pouvait même pas manger, car ils ne touchaient pas suffisamment pour pouvoir nourrir les nouveaux renforts qui arrivaient tous les jours, et même plusieurs par jours, donc il fallait me nourrir moi-même.

Le premier jour et une fois rentré dans la pièce désignée, je fus assez tranquille mais toujours dans l’inquiétude de partir avant d’avoir reçu un dernier adieu de la part de mes parents, qui étaient dans un grand désarroi de me voir obligé de les quitter pour une période assez prolongée, et même bien loin de se douter qu’une aussi cruelle vie me soit destinée, car je me suis trouvé dans un état lamentable et bien triste pour un jeune homme de se voir dans une pareille position.

Je vous ferai connaître la triste vie que j’ai passé sur une terre bien sauvage, où les habitants se contentent d’un vieux sac ou de quelques vieux chiffons pour se couvrir la peau noirâtre, brûlée par le soleil, où hommes et femmes marchent pieds nus, par l’avarice qui leur fait retenir leurs petites rondelles d’or et leurs pièces d’argent. Le 4 avril, je partais pour une permission de 10 jours, ce qui m’a mis un peu de courage au cœur pour le 6 du même mois.

Mes parents m’ont reçu à bras ouvert et bien content de me voir en leur compagnie, mais toujours chagriné par la guerre, de l’avenir. Pendant le séjour, je me suis bien amusé, bien fait des petites fêtes de camaraderie qui se font journalièrement. Pour fêter le départ d’un nouveau colonial, je me suis bien amusé, mais depuis que j’ai quitté la France j’ai bien regretté de ne m’être plus amusé encore, car si j’avais connu l’avenir j’aurais encore vidé quelques bolées de cidre de plus, car "bon sang", j’ai eu le temps d’avoir soif.

Le 20 avril, je repartis pour rejoindre mon régiment, quelques larmes s’écoulèrent lorsqu’il a fallu dire "adieu", ma pauvre mère pleurait encore comme une maman qui pleure ses chers enfants, c’est bien dur aussi d’élever des enfants jusqu’à l’âge de 18 ans et de les voir partir se faire trouer la peau contre les Allemands, et encore après avoir fait ce qu’un soldat doit faire pour la patrie, il faut encore partir pour une terre inconnue et se faire percer pour une raison que l’on n’a jamais connue, et que personne ne saura.

Le 23 avril, j’arrivais à ma section de mitrailleuse qui était dans l’attente du départ. Je croyais partir quelques jours plus tard, mais une fois encore, j’ai eu la chance de passer 2 mois avant de partir pour l’ASIE. Les premiers jours de juin, nous sommes partis pour SORGUES, une gentille petite ville du midi où nous avons passé quelques jours de plaisir pendant ce très court séjour. Il y a eu une petite révolte dans le bataillon pour le refus d’une permission de 20 jours que nous avions droit, nous étions donc décidés de ne pas partir avant d’avoir cette permission qui n’était pas une récompense mais un droit d’après les ordres ministériels. Nous avions donc refusé de marcher malgré les notes répandues dans les compagnies, mais comme il n’y avait rien à gratter et que quelques soldats ont été emprisonnés pour avoir été soi disant des meneurs et qui étaient peut être les plus innocents, le reste s’est calmé et sont devenus doux comme des agneaux.

Le 18 juin, nous embarquons pour MARSEILLE, et le soir, de peur qu’il y ait le chambard, on nous a fait coucher sur la ligne de chemin de fer, et le 19 au matin, nous avons pris le bateau nommé PIERRE LE GRAND, et le soir même vers 16-17 heures nous quittons le beau pays natal et bien aimé, à la nuit tombée nous n’avons pas revue mais nous vivons toujours avec l’impatience de revoir cette terre si chère. Pendant la traversée qui dura 5 jours et 6 nuits, nous avons été tranquilles, malgré la tristesse et l’inquiétude du nouveau sol maudit. Enfin, le 23 juin, vers 4 heures du matin, nous aperçûmes le port de la ville de MERCIN, où l’on devait mettre pied à terre.

A peine étions nous en rade, que le bateau était déjà entouré de petites barques. Quelle surprise de voir ces gens aussi mal vêtus et pieds nus. Ils cherchaient à gagner leur pain en venant chercher les bagages de nos officiers pour les transporter à terre, et d’autres venaient nous vendre les fruits du pays dont plusieurs m’étaient inconnus et pour d’autres copains, tels que la pastèque et bien d’autres que je ne prends pas la peine d’écrire, car s’il avait fallu noter tout ce que j’ai vu, j’aurais dû faire une quête pour acheter un livre. Enfin vers 10 heures du matin, nous commençons à débarquer les voitures, les chevaux et les lourds colis. Après notre compagnie a débarqué, mais quel tourment!

Il fallait se tenir debout dans une barque, que les vagues de la mer nous faisaient des bonds formidables, et comme nous n’avions pas le pied marin, nous avons vite eu le mal de mer, moi j’aurais préféré avoir "le mal de fille". Enfin, après avoir bien balancé sur cette maudite barquette que j’aurais voulu au dos du diable, nous arrivons au débarcadère, où il fallait passer sur une passerelle de 20 à 25 cm de large pour poser pied sur le port.

Notre premier regard s’est posé sur les maisons qui entouraient le petit coin de la ville, mais au lieu de maisons, ce n’étaient que des niches à lions comme nos ancêtres les Gaulois, où on pouvait apercevoir les marchands assis sur une table, ou au sol avec les jambes croisées en fil de fer, plus loin des femmes qui avec le même morceau d’étoffe se sont confectionné une robe, une pèlerine, un cache tête, hormis le voile qui est en soie ou en toile très fine, qui leur cache le visage ou en terme militaire "la goule".

Maintenant il y a aussi les KURDES, dont les hommes portent le même pantalon que les femmes, d’ailleurs je suis certain que lorsqu’ils se déshabillent, ils risquent de ne pas reconnaître leurs vêtements. Enfin nous traversons la ville pour venir camper sous les marabouts en plein soleil, quelle chaleur! pour des gens qui sont de pays tempéré. Je partis avec quelques copains visiter la ville qui semblait assez bien tenue, mais en réalité, elle était sale dans tous les coins de rues et places publiques. Il restait des tas de saloperies, des chiens, des chats crevés avec une odeur repoussante, car pas un animal tels que vaches, chevaux, et même chameaux n’étaient mis en terre, c’était le repas des chacals. On aperçut des colombiers dont on n’en connaissait pas l’usage, des ARMENIENS nous ont dit que c’était la mosquée du musulman.

Nous quittons cette ville le 4 juillet pour aller occuper une ville qui se nomme ADANA, et qui se trouve à 70 km de MERCIN. Le départ a eu lieu vers 4 heures du matin par la ligne de chemin de fer, et à 10 heures, nous arrivons et sommes reçus par une compagnie de la légion ARMENIENNE, qui font sonner l’air de la Marseillaise pendant que l’on mettait sacs au dos pour sortir de la gare, car par la chaleur accablante un soldat n’était pas capable de porter le chargement complet dont nous étions victimes depuis deux ans. Les voitures étaient parties quelques jours auparavant avec nos sacs.

Pendant que nous marchions sous le soleil d’AFRIQUE, et après avoir parcouru 1300 m, le bataillon a été reçu par une famille française, il s’agit de la famille du capitaine ROLAND LOUIS qui commandait une compagnie de légion ARMENIENNE débarquée depuis quelque temps. Les femmes étaient très heureuses de se voir libérées de la main des TURCS qui massacraient les catholiques. Nous avons pu manger et boire à volonté, ces braves femmes nous ont donné des cigarettes à pleine poche ce qui nous a fait grand plaisir, car depuis la France, nous n’avions pas touché de tabac. Après cette restauration, nous avons défilé pendant 3 heures devant un général ANGLAIS, c’est alors que nous avons pu nous rendre compte de la chaleur, car le sable chaud nous brûlait les pieds à travers les souliers.

Et plusieurs de mes camarades sont tombés sous l’effet de la chaleur. Une fois bien fatigué et trempé par la chaleur, nous sommes partis en direction de la ville au pas, sous les acclamations du public qui souhaitait la bienvenue à leurs libérateurs. Des enfants chantaient la Marseillaise à plein poumons, nous avons donc traversé la ville sous les cris de: vive la FRANCE, vive nos libérateurs, vive l’armée glorieuse de VERDUN de Champagne. Après le défilé, nous avons pris pour logement une ancienne école, c’était le plus beau bâtiment de la ville. Nous avons pu changer de vêtements, nos habits étaient devenus blancs par l’écume de transpiration.

Nous sommes restés tranquilles pendant quelques mois, puis je fus nommé ordonnance du lieutenant de la compagnie de mitrailleuse, ce qui me permis de passer un séjour agréable car je pouvais me promener en ville pendant la journée, durant que mes camarades étaient de garde, car il y avait beaucoup de postes pour protéger la ville. Nous sommes restés dans cette école jusqu’à la première quinzaine de juillet, mais j’avais oublié de vous dire que le 14 juillet, nous avons fait la fête pour amuser la population ARMENIENNE et, comme j’avais bu un coup de trop de pinard, j’ai oublié d’aller chercher le linge du lieutenant qui était en ville à la blanchisserie, et suis resté au petit théâtre organisé par notre armée. Quelques jours plus tard, je devins ordonnance d’un capitaine qui venait de l’aviation, et qui devait prendre le poste de capitaine adjudant major à MERCIN.

Le 23 juillet, je quittais la ville d’ADANA pour MERCIN. Dans cette ville j’ai passé un bon séjour, car je mangeais à l’intendance avec les camarades employés comme moi et touchait la même paye. L’on mangeait et buvait ce qu’il nous faisait plaisir, car lorsque l’on paye sa nourriture, ce n’est pas pour se laisser sortir les os de la peau. Je fus heureux comme un petit notaire, et très souvent, le capitaine qui aimait la chasse m’invitait à l’accompagner à cheval. Cet officier était devenu comme un père pour moi, je faisais l’ouvrage qui n’était pas très pénible pour garder ma place, au lieu de monter des gardes jours et nuits.

Mais un beau jour, il m’arriva une petite histoire qui me valut 4 jours de prison, par l’entraînement d’un camarade qui avait bu plus que de coutume, et malgré qu’il soit saoul il avait toujours soif. Je l’accompagne pour satisfaire des envies mais j’avais reçu l’ordre de préparer le cheval du commandant pour 16 heures, car son ordonnance était malade. Ayant suivi l’autre soûlot, à 18 heures le cheval était toujours à l’écurie. L’heure passée, c’est le commandant lui même qui vint voir la raison de ce retard, et me trouva à moitié saoul ainsi que l’autre soûlot qui, à cette heure la route était devenue trop étroite pour laisser la place à passer, le commandant jugea prudent de nous mettre à l’abri des voitures et nous fit jeter en prison pour 13 jours, en nous promettant de nous faire rejoindre la compagnie.

Le lendemain, le capitaine me convoque pour lui rendre compte de l’histoire. Je me présente devant lui avec un petit air triste et mécontent de mon jugement bien mérité. Après le récit, le capitaine me renvoie en tôle, mais en me promettant de faire son possible pour garder mon poste.

Après son entretien avec le commandant, celui-ci m’a convoqué à son bureau, cette fois je n’étais pas très rassuré mais je me suis présenté comme un soldat doit se présenter. Je répondis à toutes ses questions sans avoir l’air trop bête, et il m’a renvoyé avec mes 4 jours de prison, et je resterai à poste à condition qu’une pareille histoire ne m’arrive plus. Je me suis donc promis d’être tranquille, car avec ces grosses légumes, c’est bien souvent le petit qui attrape la sauce piquante. Quant à mon camarade, il a attrapé 15 jours de prison et a été relevé de son poste. J’ai donc continué mon ancienne vie, toujours prêt à marcher sans jamais oublier de préparer le bourrin lorsque j’en avais reçu l’ordre.

Je restai tranquille dans cette ville jusqu’au mois de novembre. Le 13, je partis pour la 3ème compagnie, dont mon capitaine devait prendre le commandement et se trouvait dans la ville d’URFA AOUNE, à 700 km de MERCIN. Nous partons sur la ligne DOULEP. Arrivé à cette gare, il fallut rester à quatre pour garder un wagon où se trouvait les cantines du capitaine, car il nous fallait faire demi-tour pour revenir à une petite gare appelée MOUSLIMER, pour reprendre la ligne qui venait du côté de MERCIN.

Le 4ème jour, je repartais pour cette direction, où j’arrivais quelques jours plus tard à la gare de TEL ABIATE qui servait de ravitaillement de la garnison d’URFA, où j’ai passé quelques jours avec des tirailleurs SENEGALAIS. Puis je partis avec un convoi de la 3ème compagnie, mais malheureusement, pendant le trajet l’automobile resta en panne dans un bled où nous n’avions rien à manger. Nous décidâmes de partir pour un village ARABE où pour la première fois, j’ai mangé du blé bouilli accompagné d’un peu de lait. C’est la principale nourriture du pays que les habitants appellent le "bourgoule", nourriture sacrée de leur mahomet.

Pendant la préparation du repas, quelques camarades sont partis pour un village voisin acheter quelques poulets, mais la nuit était très noire. Ils se sont perdus dans la plaine, impossible de retrouver la direction de LASOMOBILE, il a donc fallu partir à leur recherche et après avoir bien parcouru la plaine, nous avons enfin retrouvé nos copains avec les poulets tant désirés. Pendant que nos poulets cuisaient, les femmes arabes nous faisaient quelques galettes avec de la farine récupérée dans notre convoi. A peine avions nous fini de préparer notre repas, que des voitures sont arrivées pour dégager la nôtre qui était enlisée. Nous avons déchargé notre voiture et mis le chargement dans les véhicules venus à notre rencontre, et nous avons repris la route pour URFA en finissant notre repas en roulant.

Arrivé à URFA, je partis à la recherche de mon capitaine et je revins voir les anciens copains que j’avais quitté à ADANA. Dans cette ville nous sommes restés tranquilles jusqu’au mois de février, où nos misères ont commencé. Enfin nous vivons sans trop faire attention aux TURCS, lorsque nous avons entendu dire qu’une attaque allait avoir lieu. On va enfin commencer les travaux de défense, il était bien temps d’y penser, car nos officiers au lieu de nous faire marcher tous les jours sac au dos, ils auraient mieux fait de nous faire retrancher aux alentours du centre de la ville.

Nous étions une compagnie d’infanterie, et il y avait 2 compagnies de tirailleurs ALGERIENS, 1 section de SENEGALAIS et une quinzaine de cavaliers ARABES. Cela faisait environ 450 combattants pour tenir une ville de 43000 habitants avec nos fusils, pas un seul canon, et quelques grenades, c’est partir se battre "les mains dans les poches". Le 7 février, vers 14 heures, l’alerte est donnée dans notre petite troupe qui était prête à verser son sang pour faire honneur au drapeau FRANÇAIS.

A ce moment, on aperçut une troupe turque sur une colline qui se trouvait à quelques kms du centre de notre commandement. Le rassemblement s’est fait en ordre remarquable, tous les braves poilus avaient chargé leur fusil de crainte qu’un assaut survienne. Quelques heures plus tard, un cavalier porteur d’un drapeau blanc venait en direction du capitaine SAYOU, qui était gouverneur en chef de la ville d’URFA. Cet émissaire était porteur d’un message invitant le capitaine à évacuer ses troupes sous un délai de 24 heures, ou ils nous feront partir par la force des armes. Mais comme un officier français n’a pas peur devant un pareil chiffonnier, il a répondu de prévenir le chef des Turcs de venir lorsque cela lui fera plaisir, et que les troupes françaises ne quitteraient pas la ville, et que les fusils étaient en position de tir pour saluer leur arrivée.

La fin de la journée fut calme, ainsi que le lendemain, le dimanche 8 février nous sommes partis prendre position des petits postes autour du centre ville pour ne pas se faire prendre en une seule fois, la nuit tombée l’on croyait rejoindre la compagnie pour manger la soupe, mais nous avons reçu l’ordre de tenir les postes, puis je fus revenu au centre sur l’ordre de mon capitaine.

Le 9 février, à 9 heures, la fusillade commence, mais au lieu de recevoir les coups de feu de l’extérieur, c’est dans la ville que cela s’est passé, et l’on croyait que c’étaient les gendarmes qui volaient notre solde, et en qui nos officiers avaient un peu confiance, mais ce sont eux qui nous ont tiré dessus les premiers. Nous étions donc attaqués de toutes parts, car la ville était encerclée par les Turcs qui étaient en révolte contre nous.

Il fallut beaucoup de courage pour tenir tête à cette importante invasion, et nous avons rassemblé toute notre énergie pour tenir le siège de 2 mois, avec 17 jours de vivres car on était bien loin d’avoir tout ce qu’il faut pour tenir un siège aussi long. Bien heureux pour nous que le 9ème jour de la 1ère fusillade, la neige a fait son apparition et a revêtu la terre de son grand manteau blanc. Malgré le froid qu’elle procure, elle nous a rendu grand service pour nous réchauffer. Du 9 au 18, cette période fut calme, malgré les pluies de balles du matin au soir, la vie de guerre nous allait assez bien et l’on prenait pas garde aux balles, nous en avions pris l’habitude. Mais le 18 février, les TURCS, fatigués de notre résistance, ont attaqué un petit poste qui se trouvait à 2 km de notre position, et malgré la résistance de nos troupiers, ils se sont emparés du poste et fait quelques prisonniers.

Devant ce succès ils ont repris un autre poste qui était pour nous le meilleur, car il était sur une colline et contrôlait le seul ruisseau qui nous alimentait en eau. Dès que les soldats turcs ont pris possession du poste, ils ont coupé le ruisseau, et pendant quelques jours nous n’avons plus d’eau pour faire la nourriture, alors nous avons fait fondre de la neige pour le café, et plus tard nous avons découvert un puits dans un jardin. Il fournissait suffisamment à la demande, mais après 15 jours, plus de flotte pour les cuisines et les chevaux qui n’engraissaient pas non plus car parfois ils ont mangé leur crottin.

Il fallait donc de nouveau faire fondre de la neige, et pendant 2 mois nous n’avons pas changé de chemise car l’on ne pouvait pas se laver, alors il fallait voir les régiments de poux qui étaient sur la peau, mais ma foi à la guerre comme à la guerre on ne fait pas attention à la vermine, il faut d’abord sauver sa peau. Nous étions dans une purée complète et il fallait se serrer la ceinture, car nous n'avions que 17 jours de vivres et aucun moyen pour s’en procurer.

La perte des 2 postes nous ennuyait et le moral baissait proche des talons, lorsque vers 16 heures un avion FRANCAIS est venu survoler nos lignes et a jeté des messages, nous apprenant que notre misère touchait à sa fin. Hélas! Ils s'étaient trompés car nous n’en étions qu’au début, et c’était plutôt la fin de nos vies qui arrivait, car l’on n’a jamais vu la colonne de renfort annoncée, et ce même jour nous avons entendu la voix du canon dont les obus venaient nous faire baisser la tête, ce qui nous a mis bien plus bas et nous avons riés pour répondre à la voix du canon. Du 21 février au 3 mars, ce fut calme, mais les Turcs, excédés par notre résistance aussi longue, ont bombardé nos positions en tous points. Nous sommes sortis en très grand nombre du centre pour prendre part au combat.

On attaquait en poussant des cris féroces, et notre petite troupe, prête à mourir sur place, déclenche une terrible fusillade. Ce n’était qu’un feu de toute part, les adversaires nous voyant bien décidés ont fait demi tour avec beaucoup de pertes sur le terrain, puis de nouveau nous bombardent avec leurs canons, qui détruisent les 3 quarts des cantonnements, mais rien n’enlevait notre courage malgré le fait qu’un obus a éclaté parmi un groupe de soldats provoquant la mort de 2 d’entre eux et en blessant 13 autres. Les Turcs nous croyant morts et enterrés sous les décombres ont lancé une deuxième attaque, qui cette fois leur a réussi et permis de mettre pied sur notre terrain, mais nos officiers s’organisent et ce fut de nouveau un feu à ne rien entendre. On reprenait courage et on a fait fuir les rangs Turcs avec d’horribles pertes, ils sont repartis dans leurs trous et n’en sont pas ressortis.

Puis le calme revint et nous vivons sur nos réserves alimentaires qui diminuaient, mais nous étions patients et espéraient de voir arriver la colonne qui devait nous porter secours, car nous n’avions aucun moyen de se sauver, mais hélas! il nous a fallu quitter avant d’être délivrés car jamais nous n’avons eu de nouvelles de l’arrière. Les derniers jours, il fallut resserrer la ceinture car il n’y avait plus de pain, de farine, et de légumes, il fallait manger un biscuit par repas avec 1 quart de café ce qui ne constituait pas une nourriture pour se battre et prendre la garde jours et nuits, et toujours de la neige, et pas de nouvelles des troupes de l’arrière et aucun moyen de se procurer des vivres.

Le 9 avril, le commandant décida de hisser le drapeau blanc et sortit pour parlementer avec les Turcs. Il obtint un armistice nous permettant de quitter la ville d’URFA avec armes et bagages. C’est alors que nous avons appris que l’adversaire avait 1200 hommes hors de combat, alors que nous, nous n’avions que 11 morts et 37 blessés, donc l’honneur des armes resterait à l’armée française. L’armistice fut signé et le départ prévu le 11 avril au matin. Les Turcs devaient nous fournir 60 chameaux pour remplacer nos mulets, que nous avions mangés pendant le siège.

On quitta la ville à la date prévue vers 1 ou 2 heures du matin. A peine sorti, un cavalier ARABE et un soldat du 412ème furent désarmés par un groupe KURDE qui se trouvait sur notre passage. Nous continuons notre marche vers SEROUGE qui se trouvait à 60 km, lorsque vers 6 heures nous nous remettons en marche après une courte pause qu’une terrible fusillade éclate, car pendant les 2 derniers jours que nous avons passé à URFA, les KURDES avaient l’ordre de nous tendre une embuscade sur les montagnes, ou sur la route qui passait au milieu. Notre troupe engagée dans le couloir, l’ennemi a formé un entonnoir afin de nous encercler.

Au premier coup de fusil, nous avons pris position de combat, mais vers 10 heures le convoi fut pris, plus rien à manger et plus de cartouches, il nous était impossible de tenir plus longtemps. Il fallut donc de nouveau hisser le drapeau blanc pour se rendre prisonniers, mais une fois désarmés, les sauvages KURDES au lieu de nous faire prisonniers ont continué leurs tirs, et criant comme des vrais sauvages, ils tuèrent ceux qu’ils pouvaient attraper. Ce fut une pagaille terrible. Chacun d’entre nous partait de tout côté, car les KURDES faisaient un massacre à l’arme blanche, ils coupaient des têtes, des pieds, ou les bras, un même ouvrait le ventre du malheureux. Ils continuèrent leur massacre jusqu’au dernier.

Plusieurs d'entre nous ont réussi à passer entre les balles, alors on vit tous nos morts nus comme des vers de terre avec le ventre ouvert ou la tête à 10 m de leurs corps. Les parents ne sauront jamais comment sont morts leurs chers enfants, et que leurs corps aient été mangés par des chacals avant d’être enterrés. Il fallait aussi voir les sauvages se sauver avec les fusils, les mitrailleuses, les armes automatiques, les marmites des roulantes, des paquets d’effets arrachés de sur les morts, car nous aussi nous étions nus comme une bouteille vide et celui qui n’avait rien pu prendre, tuait son camarade pour récupérer le butin.

Plusieurs de mes camarades ont été fait prisonniers, tant qu’à moi je me suis sauvé avec plusieurs copains sans savoir de quel côté aller. Nous marchons et à une dizaine de kms du massacre arrive un cavalier qui nous arrête et nous prend notre argent, puis un deuxième le restant de linge que nous avions. Nous étions donc pieds nus, et même pas un mouchoir pour nous cacher les endroits les plus faibles. Nous marchons encore un peu, puis 2 KURDES qui venaient probablement du massacre nous font mettre à genoux sur un rang de 4, et chargeant leurs fusils se reculent à une trentaine de mètres, nous mettent en joue et s’arrêtent pour demander s’il y avait des ARABES parmi nous. Il y en avait un, ils parlèrent ensemble puis les KURDES partirent en nous disant de rester là, et qu’ils viendraient nous chercher le soir. A ce moment, mon âme était presque disparue, car je n’avais plus beaucoup de courage.

A la nuit tombante, nous sommes repartis, sauf l’ARABE, un SENEGALAIS et quelques autres. Nous marchons toute la nuit dans les montagnes, le matin nous avions les pieds en sang par les cailloux, la plante des pieds servait de semelles. Au lever du jour, on se trouva au milieu d’une plaine, et rien pour se cacher car nous ne pouvions pas marcher le jour au risque de se faire prendre, nous voulions trouver un poste FRANÇAIS. Il fallut ramasser des cailloux pour se fabriquer un abri à la vue des KURDES ou TURCS, nous étions une quinzaine dans un trou lorsqu’on aperçut un berger qui gardait ses moutons, tournait autour de notre cachette à une centaine de mètres, la pluie tomba et nous gela la peau, mais bien content car nous avions soif.

Plusieurs de mes camarades léchaient leurs bras pour boire l’eau qui ruisselait sur la peau, car personne d’entre nous n’avait de chemise et de caleçon. Pour faire passer la soif qui me torturait, je buvais les gouttes d'eau qui coulaient sur l’oreille d’un de mes camarades. Quelques uns ont même bu leur urine, chose bien triste, mais contre la mort on fait tout. Nous sommes restés dans ce trou sans pouvoir bouger un pied. Le soleil réapparut après la pluie, cette fois nous avons la peau rouge de la tête aux pieds. La nuit venue, nous reprenons notre marche mais sans savoir dans quelle direction, si bien que vers 2 à 3 heures du matin, bien fatigué, mort de soif et à moitié mort de faim, on décida de rentrer dans un petit village qui se trouvait proche de nous.

Dans ce village, rien ne bouge, nous avons frappé à une dizaine de portes sans que personne ne réponde, enfin une vieille femme sortit et voyant notre malheur nous apporta de l’eau que nous avons bu comme des vraies bêtes fauves, puis elle alla chercher son homme et nous donna un peu de pain avec du blé bouilli et nous chassa. Les chiens s’élancèrent à nos trousses, on traversa un champ de blé qui nous javelait la peau, puis nous rentrons à nouveau dans un village. Là on y dormit, un vieux "maigriot" qui nous voyant nus des pieds à la tête avait le courage de nous demander de l’argent, "paras paras" disait-il dans son langage de sauvage. Nous lui avons fait comprendre que nous n’avions pas d’effets ni de piastres.

On passa la nuit dans cette triste niche à lapins. On a mangé un plat de blé que l’on a trouvé bien bon et le matin même, ils nous emmènent à SEROUGE qui se trouve à quelques km de ce village qui s’appelait D’HOUERE. Nous pouvions apercevoir le premier poste FRANCAIS qui se trouvait à une dizaine de km. Quelle angoisse après avoir souffert si cruellement, d’être si proche pour être maintenant prisonnier. Les habitants du village nous ont donné des peaux de chèvre pour nous couvrir, puis nous partons pour la prison de SEROUGE où nous avons retrouvé des camarades, qui avaient eux aussi réussi à échapper au massacre et qui avaient été repris dans les parages.

Au quatrième jour, ils nous firent sortir de la prison, pensant qu’il s’agissait d’aller au cabinet comme d’habitude chaque jour, mais en fait ils nous firent prendre la route d’URFA. "Encore une bien triste journée" car il fallait effectuer 60 km dans la même journée, et toujours pieds nus et sans manger, entourés d’une bande de sauvages qui nous martyrisaient à coup de lanières de cuir, ou de leurs crosses de fusils. Enfin, malgré la souffrance, nous marchons et comme nous avions les pieds en sang, il nous fallait presque marcher sur les genoux. Le soir, nous arrivons enfin à URFA, où nous avons retrouvé des copains qui avaient été fait prisonniers sur le terrain du massacre.

Sur 450, nous étions encore 80 dont une trentaine de FRANÇAIS, et il y avait au moins 20 blessés. Nous ne pouvions plus marcher, pendant plusieurs jours il a fallu me faire porter par des camarades pour aller au cabinet, car il était impossible de me tenir debout, enfin nous étions contents d’avoir rejoint des rescapés. Nous avions à manger, de quoi satisfaire notre appétit, car les premiers jours nous étions nourris par la ville, mais après quelques temps nous avons été mis au rang des soldats de l’armée régulière commandée par KEMEL PACHA, le général en chef des armées révolutionnaires de la TURQUIE d’ASIE.

A partir de ce moment, nous ne mangeons que du blé à l’eau ou quelques légumes inconnus pour nous, toujours cuits à l’eau, et nous mourrions de soif car ils nous donnaient à boire une seule fois par jour, et on mangeait 2 repas par jour, un le matin au lever du jour, l’autre le soir à la tombée de la nuit. Il nous fallait rester toute la journée sans boire ni manger, c’est alors que l’on faisait honneur au plat de "bourgoule". Nous avons eu quelques vêtements par la mission AMERICAINE, et aussi par les frères capucins FRANCAIS qui se trouvaient dans la ville pour recueillir les orphelins ARMENIENS. Nous avons touché une paire de savate, la plus grande chaussure du pays, ainsi que du tabac que les AMERICAINS nous offraient.

Nous sommes restés dans cette ville jusqu’au 6 mai, où l’on apprit que l’on devait partir pour la ville de DIARBAKIR, qui se trouvait à 200 km de la ville d’URFA. Nous partons le matin même et parcouru environ 70 km dans la journée et pour ainsi dire sans manger. Nous avons passé la nuit dans un douhar appelé ADIYAMANE, et le matin nous sommes repartis pour la ville de SEVERE. Mais pendant le trajet, nous fûmes attaqués par un groupe de KURDES qui voulait prendre un soldat FRANÇAIS, pour leur apprendre à se servir des armes automatiques, qu’ils avaient volées sur le terrain du massacre.

Nos gardiens nous firent coucher à coté d’eux. Un officier TURC qui nous conduisait est parti voir ce qu’ils voulaient, mais les KURDES lui flanquèrent des coups de trique sur les reins, puis ils prirent un soldat ALGERIEN et FRANCAIS en leur disant qu’ils auraient tout ce qu’ils voudraient; même une femme et bien d’autre chose, mais l’officier TURC repartit de nouveau et ramena les 2 prisonniers qui n’étaient pas très fiers. Enfin nous continuons notre route sans autre encombre, et le soir nous arrivons à SEVEREKE, où nous avons passé 10 jours, car là encore il y avait des coups de fusils du matin au soir.

Nous avons appris que BRAHIM PACHA, chef d’une tribu ARABE, luttait contre les TURCS et cette attaque était lancée pour nous délivrer de la main de nos bourreaux, et pour nous rendre aux FRANÇAIS. L’offensive échoua, ils repartirent en emportant les troupeaux de moutons qui appartenaient aux TURCS et à partir de ce moment, nous avons été encore plus mal nourris. Nous n’avions qu’un seul repas par jour avec une petite galette qui était bien bonne, puis nous sommes partis pour DIYARBAKIR qui se trouvait à une centaine de km.

Nous avons touché 3 galettes avec un peu de viande pour 2 jours. Nous marchons donc toute la journée sur des sentiers, car il n’y avait pas de route dans ce maudit pays. Le soir nous arrivons dans une maison qui était seule et inhabitée. On y passa la nuit, et au matin, en route pour la 2ème étape. En fin de journée, nous arrivons enfin dans une caserne, puis on nous mit en prison où l’on ne pouvait même pas se laver ni aller aux cabinets. Nous étions mécontents à l’égard de nos gardiens car plusieurs camarades et moi même avions la dysenterie, nous faisions dans nos pantalons, d’autres faisaient par un trou qui se trouvait au milieu de notre prison et cela tombait sur le dos des mulets, ce qui donnait du travail aux conducteurs TURCS.

Enfin, nous sommes restés dans cette triste position pendant 12 jours, ce qui nous a paru bien long car nous ne pouvions pas laver notre chemise, et nous étions couverts de poux. On couchait sur la poussière, sans avoir aucun morceau de chiffon pour nous couvrir, ni même un brin de paille pour nous coucher. Pour servir d’oreiller, nous avons pris une grosse pierre, puis un beau jour, on a appris que l’on devait partir quelques jours plus tard, qu’un armistice était signé entre les 2 armées et qu’un échange de prisonniers aurait lieu. Le 12ème jour, nous quittons donc cette affreuse prison avec une joie au coeur très remarquable, nous avons refait les 200 km pour rejoindre notre ancienne prison d’URFA.

Nous y passâmes quelques jours, puis un convoi fût formé pour partir à SEROUGE où avait lieu l’échange de prisonniers. 2 ou 3 jours après, un deuxième convoi partit, accompagné du lieutenant DELOIRE, le seul officier qui restait de la garnison, puis on nous dit que le reste partirait quelques jours plus tard, mais les TURCS ont violé les accords 2 jours avant notre départ. Alors ma foi nous sommes restés en prison jusqu’à nouvel ordre, lorsque le 28 juin les gardiens s’amènent dans la prison en disant "aidz yalla". La joie remonta dans nos cœurs, et bien vite tous se dépêchaient à sortir en oubliant le peu d’effets qui nous restaient, croyant partir chez les FRANCAIS, mais en traversant la ville nous avons pris la direction de DIYARBAKIR, alors quelle tristesse encore cette fois. Personne ne pouvait plus marcher par la déception, nous n’avions même pas mangé la soupe du matin, ni la galette.

Il fallut marcher toute la journée sans rien manger et nous avons fait la même étape que la première fois de 70 km sans courage. Mais il fallut pourtant avancer ou nous avions droit aux coups de crosses de fusils. Le soir nous arrivons au village de DIAMANE où il nous fallut mendier à manger. Il fallait voir la "gueule" de ces sauvages qui refusaient parce que nous n’appartenions pas à l’ISLAM. Mais sous l’ordre du chef de village, nous avons obtenu du blé au lait à volonté, mais le lendemain, il fallait encore marcher sans rien au ventre. Dans la soirée, nous arrivons de nouveau à SEVEKE, où l’on a eu très peu de nourriture. On croyait y passer la nuit pour se reposer et lorsque la nuit tombât, il fallut nous remettre en route pour marcher jusqu’au jour suivant et, enfin, le 2 juillet au matin nous arrivons à DIYARBAKIR dans la même prison que la 1ère fois.

Les premiers jours, nous avons été enfermés et, après nos réclamations, nous avons eu un peu de liberté. On pouvait sortir seul aux alentours de la caserne, mais tous étaient malades. Nous ne mangions que des aubergines cuites à l’eau, nous avions la dysenterie. Deux de nos camarades sont morts des suites de fièvre et de diarrhée. Cette fois, nous sommes restés jusqu’aux premiers jours d’octobre. Je me trouvais alors à l’hôpital avec quelques camarades quand ils nous ont fait sortir pour rejoindre les autres, bien que nous ne soyons pas guéris, hormis un d’entre nous qui ne pouvait pas tenir debout qui était à moitié mort.

Le 3 octobre, nous partons pour une ville qui s’appelle ARPOOTTE, et qui se trouve encore à plus de 200 kms. Pendant la marche qui dura 6 jours, nous avons encore bien souffert, nous ne pouvions même pas faire une halte pour uriner. Un des nôtres est tombé d’épuisement le premier jour, car nous avons marché dix heures sans arrêt. Notre pauvre camarade au sol a été frappé par les KURDES ou les sauvages de Turquie à coups de crosse sur les reins, et quelques copains qui s’étaient arrêtés pour l’aider ont été aussi battus.

C’est alors que nous nous sommes plaint à l’officier Turc qui a ordonné aux gardes de ne plus nous frapper, de marcher moins vite et de raccourcir les étapes. Ainsi, nous fûmes assez tranquilles pour faire le restant de la route. Nous avons marché pendant près de 4 jours dans les montagnes, sans voir une route ni une maison, à part quelques terriers de loups où se logent des bandits de la montagne. Enfin, le sixième jour, nous sommes arrivés à la ville de MAMOURET UL AZIZ, nous étions à 3 kms de DARPOOTTE. Lorsque nous sommes arrivés, on nous installa dans un collège français dont les frères Capucins, qui s’occupaient d’orphelins chrétiens, avaient été chassés par les Turcs. On ne croyait pas rester dans le bâtiment car ce n’était pas une prison, mais un véritable château, et le soir nous avons eu une paillasse avec une couverture de laine. Quel plaisir pour des prisonniers qui avaient l’habitude de coucher par terre sans rien. Nous étions comme des petits rois dans cette prison.

Les premiers jours de notre arrivée à MAMOURET, nous eûmes la visite des américains qui avaient promis de nous faire apporter un peu de linge de corps, car les Turcs, depuis le 11 avril 1920 ne nous avaient rien donné, hormis le jour où nous sommes partis de DIYARBAKIR, ils nous avaient donné un pantalon, une veste en toile avec une paire de bouc pour nous mettre aux pieds car nous étions encore pieds nus. Le 11ème jour, les peaux étaient trouées et c’était notre peau des pieds qui portait sur les cailloux; mais enfin, nous étions bien contents de savoir que l’on allait recevoir des savates avec un peu de linge.

Mais les Turcs ont empêché les visites. Les frères capucins ne pouvaient plus rencontrer leurs collègues car ils avaient étés emprisonnés dans la ville de DARPOOTTE, ils seront libérés le premier mai 1921.

Vers la fin du mois de novembre, les Américains ont été autorisés à nous rendre visite, et ils nous ont donné une paire de savate, une chemise, un caleçon, nous étions bien heureux. Fin décembre, chacun de nous avait ses vêtements ainsi qu’une capote. Le jour de Noël, nous avons eu la chance de manger un poulet pour deux, ce qui nous a fait grand plaisir et nous changeait du blé que nous avions tous les jours. Ces poulets ont été fournis par les Américains, ils nous ont aussi offert le repas du premier janvier.

Le 13 février, un de nos camarades est décédé sur sa paillasse, et le 1er mai un autre est mort à l’hôpital turc. A cette époque aussi il y a eu un Sénégalais, cela faisait 3 morts depuis notre emprisonnement. Le 1er mai, le jour de l’enterrement de notre camarade, les pères capucins nous ont appris qu’ils étaient libres, et qu’à partir de ce jour, ils ont obtenu l’autorisation de nous dire la messe le dimanche et de rendre visite 2 fois par semaine. Nous étions contents car ces bons pères nous apportaient des livres ainsi que des jeux pour nous faire oublier nos peines, et ils nous faisaient chanter pour passer le temps.

Dans les premiers jours de juillet, nous avons eu l’arrivée d’un lieutenant aviateur qui a été fait prisonnier le 12 juin 1921 du coté de JERABLISSE. Il a eu la chance de partir le 30 juillet pour rejoindre les Français, car des réclamations avaient été faites pour obtenir sa libération parce qu’il faisait partie de la Croix rouge et qu’il avait été fait prisonnier pendant qu’il ramassait des blessés; et il paraît qu’un armistice avait été signé mais les Turcs l’avaient encore violé.

Son départ nous a démoralisé car il était très bon pour nous, et il n’avait été prisonnier que pendant deux mois, alors que nous cela faisait plus d’un an et nous sommes fatigués d’être enfermés et de manger du blé à l’eau. Après réclamations nous avons enfin réussi à faire disparaître ce maudit blé pour le moment. Au mois de septembre 1921 nous ne touchons du blé que 2 fois par semaine, et nous ne perdons pas courage d’être obligés d’en manger encore tout l’hiver.

Pour le moment, je ne vois plus grand chose, je terminerai donc ce récit lorsque j’aurai le bonheur de mettre les pieds en France et de rentrer parmi mes vieux parents qui attendent leur cher fils tous les jours, mais malheureusement le départ encore loin........

JE N’AI PAS FAIT CETTE HISTOIRE POUR MOI MEME CAR JE LA SAVAIS PAR COEUR, MAIS AU MOINS SI LE BON DIEU M’A CONSERVE UNE FEMME ET DES ENFANTS, LES PETITS POURRONT VOIR QUE LEUR PERE N’A PAS TOUJOURS COUCHE DANS UNE BOITE EN COTON.

RENE CHENEL


Nota: l'orthographe du texte d'origine a été corrigée et la ponctuation complétée. Le style de l'auteur a été entièrement respecté.

 

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