Vie de saint Pierre Maubant

Missionnaire en Corée


Par l'abbé A. Brunet, curé de Vassy, 1998.


Né à Vassy le 20 septembre 1803,
décapité le 21 septembre 1839 à Séoul (Corée),
canonisé le 6 mai 1984 à Séoul par le pape Jean-Paul II.

Né à Vassy, où est encore sa maison natale au village du Vautirel, le 20 septembre 1803, baptisé le même jour en l'Église de Vassy, ce prêtre et missionnaire s'inscrit dans la longue ligne, toujours vivante, des prêtres et missionnaires originaires de cette paroisse, dont un Évêque en Chine.

Bien préparé au Sacerdoce par l'abbé Maupas (Curé de Vassy de 1815 à 1865), Pierre Maubant, après des études secondaires à Vire, fait sa philo et sa théologie au Grand Séminaire de Bayeux et est ordonné prêtre le 13 juin 1829.

Il est alors nommé vicaire à Le Désert pour aider un Curé malade et presque aveugle; heureux temps, diront certains, où un village qui n'a plus maintenant cent habitants, pouvait avoir un vicaire! Il y reste à peine une année et est nommé à Champ-du-Boult, vicaire d'une paroisse de 1489 habitants. Déjà, à son premier poste, ont surgi des difficultés pour son traitement de vicaire; dans le second, les difficultés s'accentuent. C'est le début d'une œuvre que nous connaissons toujours bien: la Propagation de la Foi, fondée en France en 1822 pour aider les Missions lointaines. Animé déjà de l'esprit missionnaire qui devait le conduire jusqu'au martyre, le vicaire lance cette œuvre, et réussit fort bien, et même trop bien au goût de ceux qui ont épousé les idées de la Révolution de 1830, hostiles à l'Église et au Clergé. Après un an de présence de Pierre Maubant, on voit le Maire, pour se venger du vicaire trop entreprenant oublier volontairement de lui voter l'indemnité à laquelle il a droit. Suit un échange de lettres et de délibérations du maire, du curé, en passant par le Vicaire général, le Préfet, l'Évêque, etc... qui avec le temps font rire, mais qui alors devaient révolutionner la paroisse pour se clore seulement le 2 août 1834.

Comment, sans rire, un maire peut-il prendre le 5 avril 1833 une délibération disant, entre autres choses: "… prétendue propagation de la foi... Cette propagation a troublé le cerveau de plusieurs personnes du sexe féminin... Enfin, par ce moyen, il a troublé des ménages et causé aux habitants de grands désagréments...". Mais devant la détermination de l'Évêque allant jusqu'à enlever le vicaire successeur de Pierre Maubant, et de ce fait devant le mécontentement de la population, le même maire est capable d'écrire le 3 octobre 1833: "… Messieurs les vicaires ont toujours été traités favorablement chez nous et pas un seul ne nous a quittés sans verser des pleurs...".

Pendant ce temps, le père Maubant, entrée au Séminaire des Missions Étrangères, rue du Bac à Paris, est déjà arrivé sur le territoire chinois, avec pour destination la Mission du Su-Tchuen. Mais une rencontre devait changer sa vie: celle de Monseigneur Bruguière, partant seul pour la Corée; Pierre Maubant s'offre à l'accompagner et l'Évêque du Su-Tchuen écrit son accord.

La Mission de Corée a une histoire très particulière et presque unique au monde: elle a commencé sans missionnaires, par la conversion à Pékin d'un Coréen lettré, qui se fait baptiser; puis rapporte en Corée: livres, croix, images, médailles... Il baptise un de ses amis, puis le nombre grandit parmi les lettrés... Dix ans plus tard, quand un premier prêtre, un chinois, pénètre en Corée, il trouve plus de quatre mille chrétiens; mais il meurt martyr en 1801 et l'Église reste plus de trente ans sans pasteurs, malgré des lettres fort émouvantes écrites au Pape... (La première conversion est de 1784)... C'est enfin la nomination de Monseigneur Bruguière.

Traverser Pékin, arriver en Tartarie (Mongolie) est difficile, mais plus encore de pénétrer en Corée. On décide donc de se séparer, l'Évêque devant partir le premier; mais en novembre 1835, à la frontière, Monseigneur Bruguière meurt subitement et le Père Maubant décide de continuer seul. Il faut inventer toutes sortes de subterfuges pour passer les douanes; parmi ceux-là il en est un qui lui servira souvent pour se déplacer dans le pays: s'habiller en veuf, grande cape et immense chapeau à large bord cachant toute la figure; par respect pour la douleur du veuf on ne doit pas lui adresser la parole le premier ce qui est plus facile pour qui ne connait guère la langue!...

C'est le contact avec les chrétiens qui sont près de six mille; les confessions de ces gens qui attendent un prêtre depuis si longtemps et n'hésitent même pas à faire traduire ou écrire la confession par un autre puisque le Père ne connaît que le chinois... Après Pâques arrive un autre missionnaire, le Père Chastan, du diocèse de Digne. Fin 1837, ils sont rejoints par Monseigneur Imbert du diocèse d'Aix-en-Provence. Malgré les menaces de persécution les conversions se multiplient, qui semblent être le début d'une Église florissante. Alors que en 1839 on compte neuf mille chrétiens, arrive à la tête du Royaume un Régent ennemi acharné des Chrétiens. Grâce à quelques traîtres, l'Évêque est arrêté le 10 août; les deux prêtres, avertis à temps, peuvent se cacher. Mais à quelques jours de là, l'Évêque, effrayé par le martyre de nombreux chrétiens, pensant que la persécution s'arrêterait si les prêtres étaient pris, leur demande de se livrer.

Pierre Maubant écrit alors plusieurs lettres dont une à sa famille, à ses confrères et au Curé de Vassy. Cette lettre collective qui mettra cinq ans à parvenir en France et que j'ai pu lire aux Missions Étrangères avec beaucoup d'émotion, dénote courage et sang-froid autant qu'une dignité et une foi extraordinaires. Comment pouvoir écrire sans cela, entre bien d'autres, ces lignes, en sachant ce qui les attend: "… Nous allons à une trop grande fête pour qu'il soit permis de laisser entrer dans nos cœurs des sentiments de tristesse..." et pour terminer: "Recevez nos adieux et n'oubliez pas devant le Seigneur cette pauvre Mission pour laquelle nous allons verser notre sang. Votre humble serviteur, Pierre Maubant.

Le 21 septembre, après interrogations et tortures pour essayer de leur arracher la dénonciation des chrétiens, Monseigneur Imbert et les Pères Maubant et Chastan sont décapités. Après avoir été exposés, selon la loi, trois jours au bord du fleuve, les corps sont ensevelis dans le sable, d'où, quelques jours plus tard, des chrétiens courageux viennent les enlever pour les mettre en lieu sûr en attendant des jours meilleurs.

Déclarés Bienheureux en 1925, nos martyrs seront canonisés avec sept autres prêtres et évêques français, martyrisés en 1866, avec également quatre-vingt-treize Coréens, dont un prêtre, André Kim, que Pierre Maubant a envoyé au Séminaire en Chine, en disant de lui: "Cet enfant me paraît être un élu de Dieu" (décapité le 16 septembre 1846).

La paroisse natale de Pierre Maubant: Vassy, a sa statue dans l'Église et une relique que l'on expose le jour de sa Fête au calendrier du diocèse, le 22 septembre.

A. Brunet, curé de Vassy.

 

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