Lettre du zouave Delalande du 1er avril 1857

Bernières-le-Patry (Calvados)

 

Monsieur Albert Delalande
chez son père, canton de Vassy-s/.-Vire
commune de Bernières le Patry.
à la Fresnaye (Calvados).
France.

Mon cher Albert,

J'ai reçu ta lettre hier soir et je m'empresse d'y répondre, seulement en termes un peu moins expressifs dans la crainte de devenir insolent, style que je serais en droit, ce me semble d'employer, afin de mettre à ton niveau, mais, non, je suis ton ancien par conséquent à moi de te donner l'exemple, qu'il puisse te servir pour l'avenir.

Dans dans dernier tu me demandais une foule de renseignements sur le corps dont je fais partie, que je me suis plu à te donner, et cela avec toute la conscience possible, je me suis permis quelques refléxions au sujet de ton mariage supposé, peut-être est-ce cela qui t'a indisposé, cela m'est fort égal, je le faisais dans de très bonnes vues, si tu as pris mes observations pour de la bamboche comme tu me le dis, tu as eu tort en tous les cas de prendre avec moi un style si caustique. Depuis le commencement de notre correspondance 3 fois déjà tu m'as fait les mêmes demandes et quoique bien persuadé que tu n'avais nullement envie de prendre du service, puisque tu n'avais pu finir ton premier engagement, j'ai bien voulu malgré cela me rendre à tes instances. Maintenant, si tu crois comme tu me le dis encore, connaître les Zouaves, il était tout à fait inutile de demander à te renseigner. Tu mets en évidence tes 3 années de service au 25e, tu .e parles de ton séjour à Rome, je te demande un peu si jamais tu as eu devant toi un ennemi à craindre. Tu as porté le costume militaire, mais, jamais tu n'as été à même d'essuyer les dangers qui sans cesse se rencontrent en Afrique pour le militaire. Avant mon incorporation aux Zouaves, j'avais assisté aux révolutions de Paris, qui certes étaient assez marquantes pour me faire connaître les dangers du militaire, depuis j'ai fait l'expédition de la Kabylie et demain 2 avril nous partons deux bataillons pour nous rendre à Alger où se doit former la nouvelle colonne expéditionnaire qui doit de même que l'année dernière opérer chez les Kabyles.

Bref à tout cela, à l'avenir abstiens-toi de demander des renseignements sur ce qui concerne le métier des armées car de moi tu n'en auras pas, dans la crainte de m'attirer quelque disgrâce de ta part.

Comme je te l'ai dit plus haut, demain 2 avril 12 compagnies, formant 2 bataillons, de chacune 130 hommes, partiront pour Alger, par terre (19 étapes) afin de rejoindre la portion des 3e et 1re divisions d'Algérie qui doivent opérer dans la Kabylie, sur le juyira (?), quoique jamais je n'ai resté en route dans les marches militaires que j'ai faites, en voyant 19 étapes cela me fait ouvrir les yeux, voyager en France est une promenade. Mais, en Afrique, lorsqu'il faut traîner tente et accessoire, cent cartouches, bidon plein d'eau, et vivres d'ad(..)on pour 3, 4, 5 et même 6 jours, et voyager sous un soleil brûlant à travers monts et ravins, coucher sur la terre sêche ou mouillée cela n'y fait rien, traverser les rivières habillés, parce qu'il faut bien noter que l'ad(ministrati)on des Ponts et chaussées n'a pas étendu ses travaux jusqu'en Afrique au moins que dans l'avoisinement des villes, lesquelles sont en très petit nombre.

Si tu m'écris tu prendras la même adresse, seulement tu ajouteras à la colonne expéditionnaire de la Kabylie.

D'ici à quelque temps, nous serons pas avancés assez chez l'ennemi pour ne pas pouvoir correspondre. Du reste je te dirai lorsque nous en serons là.

On rappelle pour la revue de départ, qui précède touj... et le jour d'entrée en Campagne, si nous en échappons, comme la dernière fois, nous compterons quelques combats en plus dans mon historique.

Le bonjour à tous mes oncles.

Tout à toi d'amitié.
Delalande

Oran, ce 1 avril 1857.

1er B(ataill)on, 3e C(ompagn)ie
2e Zouaves
à la Colonne expéditionnaire de la Kabylie

 

Commentaires

 

Cette lettre est écrite en 1857 à Oran, Algérie, par un certain Delalande à Albert Delalande. Ce dernier, domicilié au village de la Fresnaye à Bernières-le-Patry, est sans doute son proche parent.

L'auteur de la lettre demande à Albert de transmettre le bonjour "à tous mes oncles", et indique qu'il avait assisté aux révolutions de Paris. La capitale a connu des révoltes en 1830, 1848 et 1851, peut-être évoque-t-il les deux dernières. On peut donc raisonnablement estimer qu'il a entre 30 et 45 ans.

Albert Delalande était alors très désireux d'intégrer le corps des Zouaves, ce qu'il fit peu de temps après pour y trouver la mort, ainsi que nous l'apprend son acte de décès en 1859, transcrit dans les registres de l'état-civil de Bernières-le-Patry:

Service des Hôpitaux militaires – Extrait mortuaire – Armée d'Algérie.

Ambulance active de la 2e division.

Nous soussigné Bert Bourdier, adjudant d'administration en premier du service des hôpitaux militaires, comptable de l'ambulance remplissant les fonctions d'officier de l'état-civil, certifions qu'il résulte du registre destiné à l'inscription des actes de l'état civil fait hors du territoire français, pour le service des hôpitaux militaires, que le nommé Delalande Albert, zouave de deuxième classe au premier régiment de zouaves, quatrième bataillon, sixième compagnie, né le quinze décembre mil huit cent trente quatre à Bernières-le-Patry, canton de Vassy, département du Calvados, signalé au registre matricule sous le n° douze mil six cent soixante quinze, fils de Philippe Auguste et de feue Robbes Louise, domiciliés à Bernières-le-Patry, est décédé à l'ambulance de la deuxième division le vingt quatre octobre mil huit cent cinquante neuf à six heures de matin par suite de choléra, d'après la déclaration à nous faite le même jour par les trois témoins mâles et majeurs voulus par la loi, lesquels ont signé au registre avec nous.

Au camp le vingt quatre octobre mil huit cent cinquante neuf. Signé Bourdier.

Nous, sous intendant militaire chargé de la police de l'ambulance de la deuxième division, certifions que la signature ci-dessus est celle de M. Bourdier, et que foi doit y être ajoutée.

Au camp le vingt quatre octobre mil huit cent cinquante neuf.

Lenormand (?)

Pour copie, certifié conforme par nous maire de Bernières-le-Patry soussigné, le dix avril mil huit cent soixante.

M(ich)el Quillard fils

 

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